La citoyenneté européenne ou les apories du modèle impérial
Abstract
Pierre Hassner fut le spectateur engagé des guerres de Yougoslavie, prenant fait et cause pour les réfugiés et pour les victimes des épurations ethniques comme il l’avait fait pour les dissidents et les victimes du communisme. Dans un texte publié en 1998, il entendait concrétiser une utopie, celle de conférer la citoyenneté européenne à ceux des Européens qui ne sont pas des citoyens d’un État qui leur serait propre. Se référant à Ulrich K. Preuss qui conçoit la citoyenneté européenne comme permettant de surmonter l’impuissance due au fait d’être étranger dans les autres États de l’Union, il proposait qu’elle permette tout autant de surmonter l’impuissance d’une aliénation dans son propre pays. Dans un autre texte, Pierre Hassner parlait de ces « populations aux statuts ambigus ou incomplets (réfugiés, tsiganes, résidents permanents, citoyens européens) ». S’agissant de cette citoyenneté européenne, tant qu’à être incomplète, « abstraite, paradoxale », autant l’être totalement, c’est-à-dire accueillir ceux qui n’ont pas les moyens d’être citoyens. C’était une manière de prolonger Kant et son devoir de cosmopolitisme, tout autant qu’un essai de réponse à Hannah Arendt, en imaginant une citoyenneté cosmopolite qui échapperait à la dichotomie entre l’« abstraite nudité » des droits de l’homme et la citoyenneté liée à l’appartenance nationale. Sachant, bien sûr, que tout flotterait dans l’incertain, dans l’entre-deux, dans l’ambigu.