Influences croisées de la Turquie et de la Russie en Asie centrale
Résumé
À l’heure où la Russie et la Turquie occupent une place cruciale dans l’actualité internationale, notamment de par leur interventionnisme en Syrie, en Libye mais aussi dans le Caucase, et compte tenu de la difficulté qu’éprouve l’Europe à dialoguer avec ces deux leaders forts que sontPoutine et Erdogan, il est devenu commun de comparer ces deux pays et de rappeler l’histoire de leurs relations tumultueuses et rivales, tantôt guerrières, tantôt amicales (comme ce fut le cas un temps entre Atatürk et Lénine). Et à raison, dans une certaine mesure : Poutine et Erdoganpartagent le même tempérament politique, et incarnent un type de leadership à la fois populiste, conservateur, teinté d’une velléité néo-impériale qui guide, ou du moins le pense-t-on en Occident, leur politique étrangère actuelle. Dans les deux pays, l’État comme la nation se sentent mal-aimés et ostracisés par l’Occident, et le sentiment d’humiliation profond qui en découle parvient seul à cimenter une politique d’entente dans plusieurs régions du monde, y compris dans l’adversité, comme c’est le cas en Syrie ou en Libye, où la divergence des intérêts russes et turcs n’empêche pas la coopération bilatérale. Ailleurs, notamment dans le Caucase et dans le bassin de la mer Noire, la rivalité est exacerbée par l’héritage historique de la compétition d’influence qu’y exerçaient l’Empire ottoman et celui des tsars. Mais il est une autre région du monde où l’influence croisée de la Turquie et de la Russie est intéressante à analyser à plusieurs égards : l’Asie centrale post-soviétique, qui est depuis plusieurs décennies, voire des siècles, un espace à la fois de rivalités et de coopérations, où se mesure la puissance régionale de ces empires devenus États modernes. À travers une analyse rapide de l’évolution politique de l’Asie centrale depuis la fin de l’URSS, et des grandes lignes des politiques turques et russes pour cette région, on démontrera que, contrairement à une idée reçue, l’Asie centrale est moins un terrain deconfrontation qu’une région tremplin, où s’affirment les ambitions russes et turques, qui ne se révèlent irréconciliables qu’en apparence.