Formalisation des procédures et savoirs informes : tensions autour de la mise en gestion de la psychiatrie - Sciences Po Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2019

Formalisation des procédures et savoirs informes : tensions autour de la mise en gestion de la psychiatrie

Résumé

Cette communication est tirée d’un travail de thèse, en cours de rédaction. La thèse s’attache à décrire le régime contemporain de régulation de la psychiatrie. Partant du constat que la mise en gestion de la psychiatrie n’a pas suivi le même parcours que celui des autres spécialités médicales, nous cherchons à caractériser les modalités de contrôle spécifiques à la psychiatrie qui semble présenter des usages relativement différenciés des outils classiques mis en œuvre par les réformes de new public management. Ainsi, nous cherchons à décrire précisément les dispositifs d’accountability embarqués en psychiatrie à travers les démarches et procédures de type gestionnaire qui s’y appliquent, ainsi que d’autres processus d’hybridation professionnelle, par la judiciarisation des soins sans consentement et la mise en places d’activités en pharmacie clinique. L’histoire de la T2A s’inscrit dans celle de la maîtrise et du contrôle des dépenses, au cœur des politiques de santé et des politiques budgétaires depuis les années 1980. La Tarification à l’activité représente certainement la mesure la plus emblématique des réformes de type gestionnaire ou de nouveau management public dans le secteur de la santé en faisant peser une accountability au sens stricte et comptable sur les organisations de production des soins hospitaliers. Alors que les champs médicaux chirurgicaux et obstétriques (MCO) sont financés par la tarification à l’activité depuis 2006 et que ce modèle a été testé sur les Soins de suite et réadaptation (SSR) depuis l’année passée avec des résultats très mitigés, la psychiatrie est parvenue à, inlassablement, rater le train du financement à l’activité. Les soins psychiatriques produits en milieu hospitalier et extra-hospitalier sont financés par une Dotation Annuelle de Financement, équivalente à la Dotation Globale en vigueur depuis les années 1980 (et suspendue dans les autres champs médicaux à partir du milieu des années 2000 au profit d’une T2A). Plus globalement, c’est la mise en gestion de la psychiatrie qui semble être particulièrement ralentie, par rapport aux autres domaines de la santé. Certains auteurs ont illustré ce constat à travers des ethnographies du travail infirmier, permettant de mettre en évidence les écarts des exigences gestionnaires avec le « travail clinique » et donnant lieu à des « braconnages infirmiers » des chiffres (Mougeot, 2013), ou d’autres menées dans un Département d’Information Médicale au moment de la mise en place d’un Recueil d’Information Médicalisée en Psychiatrie à la fin des années 2000 (Bélart, 2014), ou encore à travers des réflexions sur les politiques de santé (voir Demailly et Autès, 2013) montrant toujours un désajustement entre la réalité des pratiques et la forme des dispositifs de gestion Cette communication (et partant, la thèse) entend poursuivre cette réflexion sur le désajustement en ayant à cœur de ne pas souffrir un écueil ; celui de survaloriser les « spécificités » supposées inhérentes à la pratique de la psychiatrie, tant il apparaît que chaque domaine affecté par des règles de new public management endure le même écart entre pratiques concrètes et exigences gestionnaires et s’en accommode. Puisqu’il est vrai que la rationalisation gestionnaire s’arrime plus difficilement aux professionnels de la psychiatrie, nous nous concentrons sur les stratégies professionnelles de contestation ayant permis de suspendre dans le temps les efforts de standardisation. Après avoir rapidement décrit ce que la mise en gestion recouvre dans d’autres domaines de la santé (contractualisation, développement de guides de bonnes pratiques, standardisation des diagnostics et des pratiques) nous montrerons comment le maintien des incertitudes historiques, entretenues entre autres par les clivages au sein de la profession, autour du mandat dévolu à la psychiatrie permet aux psychiatres de se tenir à l’écart de ce processus de rationalisation des soins. Toute démarche de reddition de compte, tant en termes comptables que de responsabilité morale, s’adosse à une définition claire des mandats, ainsi que des objectifs à garantir, et donc des indicateurs pour en apporter la preuve. La reconstitution de l’histoire des réformes ratées du financement offre un cas emblématique pour illustrer la capacité d’un groupe professionnel à éconduire en douceur toute tentative d’application d’un système réclamant l’exercice de pratiques homogènes en brouillant chaque étape de cet enchaînement. Malgré ces réticences la psychiatrie n’est pas tout à fait exempte de réformes d’ordre managérial. D’abord, comme ailleurs, une partie des attentes gestionnaires sont endossées par d’autres professionnels au sein de l’hôpital (dans les directions, les cadres de santé dans les unités de soins ou même les équipes infirmières, les pharmaciens pour les démarches qualité, ou par la création des médecins spécialisés en information médicale) mais aussi en dehors avec l’implication d’acteurs tiers comme les juges dans les hospitalisations sans consentement. Aussi, les psychiatres, et avec eux la communauté d’acteurs qui produisent le soin, se montrent volontaires pour mettre en place les principes d’une accountability visant les procédures, et plus spécifiquement leur formalisation, ainsi que l’organisation des soins et non les résultats en termes de production du soin. De cette manière, ils laissent entrer une standardisation qui touche moins les pratiques, que l’on connaît très mal faute de données, que leur formalisation documentaire a posteriori (particulièrement sur les pratiques de contrainte), impactant peu leur travail décisionnel. En favorisant l’organisation et les procédures plutôt que les pratiques et les résultats, les outils mis en place remportent plus aisément l’adhésion des professionnels. La psychiatrie garde ainsi une large autonomie pour développer et utiliser des connaissances, organiser les prises en charge et pratiquer différentes thérapeutiques. Enfin, nous aborderons les préalables de la construction des outils gestionnaires et qui là aussi, ont permis de bouder les réformes qui avaient cours dans les autres domaines. Il s’agit d’un particularisme de la psychiatrie (dans une certaine mesure d’une psychiatrie « à la française » - nous ouvrirons une courte comparaison avec les Etats-Unis si nous en avons le temps) qui fait figure d’exception dans la médecine occidentale ; non une spécificité inhérente au soin des âmes (en opposition à la médecine des corps) mais là encore, à la capacité des professionnels à conserver une position marginale dans le champ, par le maintien de leur régime de légitimation. Alors que la preuve scientifique doit être apportée par le chiffre ou par l’image, la psychiatrie a maintenu un registre de légitimation d’ordre narratif privilégiant la thick description, rendue obsolète dans toutes les médecines dites de spécialités à l’heure de la médecine des preuves. La faiblesse de la formalisation des savoirs semble avoir concouru aux achoppements répétés des pouvoirs publics à intervenir par la rationalisation. La communication s’appuiera sur une vaste recherche documentaire sur la régulation en psychiatrie ainsi que sur une campagne d’entretiens menés dans les administrations centrales et régionales sur le thème de la régulation et des réformes managériales (dont une enquête spécifique sur les réformes avortées du système de financement) et deux ethnographies au sein de deux centres hospitaliers de la région parisienne, qui ont été complétées par des entretiens avec des membres des directions ainsi que médecins.

Domaines

Sociologie
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03619789 , version 1 (25-03-2022)

Identifiants

Citer

Tonya Tartour. Formalisation des procédures et savoirs informes : tensions autour de la mise en gestion de la psychiatrie. 8e congrès de l'Association française de sociologie, Aug 2019, Aix-en-Provence, France. ⟨hal-03619789⟩
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