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Chapitre D'ouvrage Année : 2018

Du droit commercial au droit des affaires

Jean Pascal Chazal
  • Fonction : Auteur
  • PersonId : 1098913
  • IdRef : 059843276

Résumé

La lecture des manuels de droit, à quelques exceptions près, laisse à penser que le droit commercial, puis le droit des affaires, sont apparus naturellement, comme par la force des choses. Voici, en gros, l’histoire qui est contée : le commerce existait depuis l’antiquité, mais le besoin d’édicter des règles particulières a grandi à partir de la « révolution commerciale » du XIIe siècle, lesquelles ont d’abord été des usages, pour ensuite être progressivement légiféré (ordonnances de Louis XIV, Code de commerce de 1807), au fur et à mesure du développement de l’État. Le droit commercial répond donc aux nécessités de la pratique du commerce, auxquelles il a su s’adapter, mais a été mal conçu en ce qu’il était, dès l’origine, incomplet et mal défini (ce qui posera immédiatement la question de son autonomie par rapport au droit civil avec lequel il interagit, soit pour l’influencer soit en étant influencé par lui) ; surtout il s’est rapidement révélé dépassé par le développement du capitalisme et la multiplication des législations particulières prenant pour objet l’entreprise (droits fiscal, social, etc.), ce qui a naturellement provoqué l’apparition d’une discipline beaucoup plus vaste et moderne : le droit des affaires, lequel s’impose depuis que la France a définitivement renoncé à la chimère d’une économie administrée ou dirigée par les pouvoirs publics, qui a caractérisé quelques décennies du XXe siècle. Depuis lors, le droit commercial est devenu une petite parcelle de cette nouvelle discipline qui a pour « catalyseur » l’entreprise et pour cœur le marché et qui n’est rien moins qu’un « fait de civilisation » . Dans cette belle histoire, la doctrine commercialiste s’est elle-même assignée la tâche de montrer l’autonomie du droit commercial et de l’émanciper de la pesante tutelle civiliste. Plus pragmatique et moins dogmatique, plus novatrice et en phase avec les besoins de la pratique, la doctrine commercialiste, puis affairiste, se différencierait de son homologue civiliste, longtemps marquée par la méthode exégétique, tout en partageant avec celle-ci la mission de dégager du corpus législatif les principes généraux et de construire un système cohérent . Si l’on ne croit pas, ou seulement de manière très modérée, à cette histoire, il faut alors s’interroger sur la manière dont se sont construits, ou plus exactement ont été construits, le droit commercial et le droit des affaires en tant que matière ou discipline juridique (nous distinguerons plus tard) ? Pour tenter de répondre cette question, encore faut-il admettre qu’une discipline n’est pas un objet naturel ou rationnel. Une discipline se construit à la fois de l’intérieur, par les membres qui la composent, et de l’extérieur en raison des contraintes institutionnelles, politiques, budgétaires, etc. qu’elle subit. Mais ce sont principalement ceux qui font partie du champ disciplinaire qui œuvrent à cette construction, même si des éléments externes peuvent influer, ou bien pour la freiner ou bien pour la faciliter. La difficulté vient du fait que ces acteurs (notamment les universitaires, mais pas seulement) sont très peu enclins à reconnaître, dans leurs écrits, le rôle par eux joué dans la construction de la discipline qui est la leur et, dans certains cas, dans la destruction d’une discipline ou matière concurrente. Ils s’en expliquent parfois dans les préfaces de leurs ouvrages, mais pas toujours de sorte que l’investigation est souvent délicate. C’est donc à une histoire critique de la construction du droit commercial et du droit des affaires qu’il faut s’atteler, si l’on veut sortir du conte de fée. Je proposerai quatre hypothèses pour tenter de rendre compte de cette construction et de ce qui s’est joué, et dans une certaine mesure se joue encore. La première est qu’une matière juridique se distingue du corpus de règles qu’elle prend pour objet d’étude (I). La deuxième hypothèse est qu’à la fin du XIXe siècle, le droit commercial, en tant que discipline juridique, s’est construit sur le même modèle doctrinal que le droit civil (II). La troisième hypothèse est que tant un droit, envisagé ici comme un corps de règles spécial, qu’une matière ou une discipline juridiques se construisent souvent en fonction d’un programme idéologique, comme cela a été le cas pour le droit commercial et le droit des affaires (III). La quatrième hypothèse est qu’à son stade le plus avancé, une discipline juridique se construit selon le modèle doctrinal et produit un discours mythologique, dont la fonction principale est d’occulter le programme idéologique qui lui sert de matrice (IV). Il n’est pas évident que ces quatre hypothèses s’appliquent à toutes les matières et disciplines juridiques ; je les appliquerai cependant volontiers au droit civil et à ses diverses subdivisions (droit de la famille, droit des obligations, droit des biens, etc.).

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hal-03594300 , version 1 (02-03-2022)

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Citer

Jean Pascal Chazal. Du droit commercial au droit des affaires : Comment se construisent matière et discipline juridiques. Frédéric Audren; Ségolène Barbou des Place. Qu'est-ce qu'une discipline juridique ?, Lextenso éditions; LGDJ, pp.187 - 212, 2018, 9782275046723. ⟨hal-03594300⟩
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