Résumé : Le piège dans les débats sur l'Union européenne consiste à penser la
démocratie au niveau de l'Union à partir de nos expériences démocratiques
nationales. Or l'espace politique européen est tout à fait spécifique, composé
d'une multitude de peuples très ouverts les uns aux autres, interagissant
massivement ensemble et soumis de ce fait à des conflits d'intérêts
transnationaux qui attendent des solutions pacifiques. La démocratie doit donc
prendre une forme différente pour tenir compte de cette spécificité. C'est toute
l'idée portée par le néologisme de démoicratie et il permet de reconsidérer d'un
œil neuf les notions de déficit démocratique de l'UE et d'incomplétude de l'euro.
Le cadre proposé est assez souple et autorise de nombreux arrangements
institutionnels, tout en posant des limites. Par exemple, la France porte souvent
des propositions centralisatrices et interventionnistes pour sauver ou
« compléter » l'euro sans réussir toutefois à résoudre de manière convaincante
les problèmes de légitimité démocratique que cela pose. De son côté,
l'Allemagne s'oppose régulièrement aux interventions discrétionnaires en faveur
de tel ou tel partenaire par crainte que cela n'alimente le risque de hasard moral.
Mais, mené à son terme, ce raisonnement aboutit à refuser toute forme de
solidarité entre les partenaires. Le soutien à un partenaire n'est envisagé que pour
des raisons systémiques, lorsque la crainte d'être soi-même emporté vers le bas
finit par s'imposer. Or la perspective démoicratique défend un principe de
solidarité qui refuse de sacrifier une nation au nom de l'efficacité économique
supposée d'une politique. La solidarité entre les citoyens de nations voisines ne
doit pas être aussi forte qu'entre concitoyens, mais elle doit garantir que chaque
nation partenaire a un avenir économique. Les exigences françaises et
allemandes devraient pouvoir s'accorder sur le principe d'une telle solidarité :
d'un côté, elle réduit le risque de hasard moral de gouvernements en étant
suffisamment faible ; de l'autre, elle est indéfectible, de manière à non seulement
limiter le risque systémique mais surtout à donner sens à l'idée même d'union, à
l'idée que la coopération doit d'abord profiter à tous.