Les inégalités sociales de santé à l’épreuve du genre. L’hypothèse de l’usure au travail - Sciences Po Accéder directement au contenu
Communication Dans Un Congrès Année : 2015

Les inégalités sociales de santé à l’épreuve du genre. L’hypothèse de l’usure au travail

Résumé

A 35 ans, les hommes cadres supérieurs vivent en moyenne 6,3 ans de plus que les hommes ouvriers, dans les conditions de mortalité observées en 2000-2008. Même si cet écart s’est quelque peu réduit (il était de 7 ans dans les années 1990), ce chiffre résume à lui seul l’ampleur des inégalités sociales face à la mort. Bien que les femmes connaissent globalement des situations socio-économiques plus défavorables que les hommes, les inégalités sociales chez les femmes sont moins prononcées en matière de mortalité qu’elles ne le sont chez les hommes. Il est en effet rarement souligné que l’écart d’espérance de vie entre cadres et ouvriers est seulement de trois ans chez les femmes, c’est-à-dire deux fois moindre à l’écart observé dans la population masculine. De plus, les inégalités sociales devant la mort ne se manifestent pas seulement au travers des écarts d’espérances de vie entre les fractions les plus favorisées et les plus défavorisées de la population, mais obéissent à un principe général de stratification qui, dans la population masculine, s’observe à tous les niveaux de l’échelle sociale. Cette hiérarchisation est cependant moins prégnante chez les femmes, pour lesquelles l’avantage relatif des cadres supérieurs sur les autres groupes socioprofessionnels apparaît beaucoup plus faible que chez les hommes. A l’inverse, les femmes inactives non retraitées n’apparaissent pas aussi pénalisées par leur position par rapport à l’emploi que les hommes en dehors du marché du travail, puisque, jusqu’aux années 1990, leur espérance de vie était équivalente à celle des ouvrières. Il est cependant intéressant de noter que cet écart entre ouvrières et inactives commence à se creuser dans les années 2000. Cette communication se propose d’interroger et d’expliquer la différence d’ampleur des inégalités sociales de santé entre hommes et femmes. Nous réexaminerons d’abord le constat de la moindre ampleur des inégalités sociales de mortalité chez les femmes. Ce constat mérite en effet d’être nuancé puisque nous montrerons qu’il varie selon l’âge, la mesure de la position sociale, le statut matrimonial, les causes de décès, la mesure des inégalités, ou encore selon les périodes et les pays. Parmi les trois hypothèses généralement avancées pour rendre compte de la moindre ampleur des inégalités sociales de santé chez les femmes – l’artefact, les différences d’exposition et les différences de vulnérabilité –, il ressort de nos analyses statistiques des données de l’INSEE que la principale explication de la moindre ampleur des inégalités de santé chez les femmes en France tient aux mécanismes genrés de sélection par la santé. Les hommes en mauvaise santé vont plus souvent changer de travail jusqu’à ce que leur état de santé soit trop dégradé pour pouvoir se maintenir sur le marché du travail, quand les femmes vont plutôt se retirer du marché du travail avant que leur état de santé ne soit trop altéré. L’inactivité et le temps partiel « choisi », deux situations typiques de la domination masculine, apparaissent alors comme des opportunités de retrait – total ou partiel – du marché du travail qui permettent aux femmes de mieux préserver leur santé. En outre, l’hypothèse de l’exposition différentielle des hommes et des femmes ne doit pas seulement être entendue comme l’exposition à des risques professionnels spécifiques, mais plus généralement comme l’exposition au risque d’« usure au travail » . L’importance de cette hypothèse nous semble attestée par le fait qu’elle rend compte de la plupart des variations précédemment évoquées. En effet, elle permet d’expliquer pourquoi les différences entre hommes et femmes dans les inégalités sociales de santé et de mortalité sont maximales à l’âge adulte, c’est-à-dire lorsque la sélection des travailleurs par la santé s’exerce. Elle permet d’expliquer pourquoi les inégalités mesurées à partir de la profession sont généralement plus fortes chez les hommes, en raison de la concentration de travailleurs en mauvaise santé au bas de l’échelle sociale masculine. Elle permet, à l’inverse, d’expliquer pourquoi le niveau de diplôme, souvent déterminé au début de la vie active et non soumis à l’effet de sélection en cours de carrière, montre des différences d’ampleur moindres entre hommes et femmes. Elle permet d’expliquer pourquoi les différences observées entre hommes et femmes sont maximales au sein de la population mariée, puisque les opportunités de retrait du marché du travail sont plus grandes pour les femmes vivant en couple que pour les femmes vivant seules. Elle permet aussi d’expliquer pourquoi la profession exercée est plus fortement associée à la santé des femmes en Finlande – où la participation des femmes au marché du travail est proche de celle des hommes et où le temps partiel est moins développé – qu’en Grande-Bretagne ou en France. Elle permet enfin d’expliquer les variations temporelles quant aux différences de genre en matière d’inégalités sociales de mortalité observées en France. Entre 1968 et 1996, les inégalités sociales de mortalité se sont accentuées chez les hommes et chez les femmes . Il est logique qu’avec la progression du chômage au cours de cette période, l’effet de sélection sur l’état de santé se soit renforcé, ce dont témoigne d’ailleurs l’augmentation continue de la surmortalité des hommes et des femmes inactifs non retraités. Finalement, ce que révèle cette comparaison des inégalités sociales de santé entre hommes et femmes, c’est que l’égalisation des conditions masculine et féminine comporte des composantes paradoxales. A mesure que les femmes connaissent des carrières professionnelles plus « masculines », en travaillant à temps complet de manière continue, elles connaissent aussi, comme les hommes, une plus forte sélection par la santé sur le marché du travail, ce qui se traduit par une augmentation des inégalités sociales de santé au sein de la population féminine.
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03414571 , version 1 (04-11-2021)

Identifiants

Citer

Anne-Sophie Cousteaux. Les inégalités sociales de santé à l’épreuve du genre. L’hypothèse de l’usure au travail. Colloque Genre et santé de l'Institut Emilie du Châtelet/INSERM, Jun 2015, Paris, France. ⟨hal-03414571⟩
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