La possession d’animaux de compagnie en France : une évolution sur plus de vingt ans expliquée par la sociologie de la consommation - Sciences Po Accéder directement au contenu
Article Dans Une Revue L'Année Sociologique Année : 2016

La possession d’animaux de compagnie en France : une évolution sur plus de vingt ans expliquée par la sociologie de la consommation

Résumé

Les satisfactions qu’on peut tirer d’un animal de compagnie peuvent apparaître à un ménage, personne seule ou famille, qui n’en possède aucun et n’en a jamais possédé, sans commune mesure avec les contraintes qu’il impose et les coûts occasionnés par cette présence supplémentaire et pourtant près d’un ménage sur deux continue à en posséder. Pour expliquer cet attachement qui a résisté à la migration de la campagne vers la ville, aux difficultés économiques de l’emploi et aux transformations de la vie conjugale, les sociologues ont privilégié la relation symbolique à l’animal et les attentes largement inconscientes qu’entretient le maître à son égard (Héran, 1987 ; Yonnet, 1983). Nous proposons ici d’approcher ce phénomène sous un angle différent. Il n’est pas nécessairement en contradiction avec le précédent, mais il permet de faire ressortir des données importantes et originales, qui restent invisibles dans d’autres perspectives. Dans notre approche quantitative, nécessairement partielle, la possession d’un animal de compagnie est le résultat d’une décision qui n’est pas fondamentalement différente de celle que prend le ménage vis-à-vis des produits de la consommation. Gary Becker (1973 ; 1974) est le premier à avoir appliqué l’analyse économique à ce type de décisions, notamment dans le domaine de la démographie. Dans sa mouvance, il est devenu légitime d’analyser des phénomènes comme le choix du conjoint ou les décisions de fécondité en utilisant les outils de la microéconomie, avec à la base un agent maximisant son utilité sous contraintes. L’analyse présentée s’appuie sur ce type d’ap­- proche. Chaque espèce animale offre des opportunités de service que le ménage est en mesure de saisir ou non selon ses ressources budgétaires et le temps libre dont il dispose. Pour surveiller son domicile, aller à la chasse ou donner un compagnon de jeu à son enfant, le ménage ne retient pas le même animal. Car les différentes espèces animales et les différentes races n’ont pas les mêmes capacités à remplir les services divers qu’on attend d’elles. Comme le suppose Lancaster (1966), le consommateur n’arbitre pas entre des biens ou des paniers de biens mais entre leurs caractéristiques. Cette décision tient compte des conséquences multiples qu’un genre particulier d’équipement peut avoir sur les autres aspects de son mode de vie. De la même façon, le ménage choisit le nombre d’animaux et l’espèce de chacun en fonction des propriétés supposées de chaque animal ou du groupe de plusieurs animaux que peut comporter ce que nous appellerons la ménagerie domestique. Bien entendu, l’animal de compagnie a d’autres propriétés, qui peuvent être également étudiées à travers des approches quantitatives. Il entretient une proximité physique avec certaines personnes au point qu’il est le témoin de leur vie intime et, souvent, intervient comme acteur dans leurs épanchements sentimentaux : il est caressé, câliné ou subit la colère du maître. Toutefois, nous n’aborderons pas ici cet aspect. Aucune des deux enquêtes de l’Insee, ni « Budget de Famille 2010 », ni « Trois aspects du mode de vie 1988 » sur lesquelles nous nous appuierons principalement ici, ne fournit d’informations sur l’aspect émotionnel de la relation entre l’animal et ses maîtres. Dans l’étude que nous présentons le nombre d’animaux possédés et leur espèce sont utilisés comme un premier type d’indicateurs : celui des usages possibles de l’animal dans le foyer. En tant qu’instrument présentant une certaine combinaison de propriétés, chaque animal familier est en compétition ou en complémentarité avec d’autres animaux, mais aussi des biens matériels et des services. Tableaux et gravures, plantes et fleurs, mais aussi poissons rouges dans leur bocal se complètent ou s’excluent pour la décoration du logement ; alarme électronique et chien pour sa surveillance ; ronronnement du chat et psychothérapie pour calmer les chagrins des enfants. Un second groupe de caractéristiques concerne les ménages. Leurs besoins, goûts ou préférences dépendent de leur situation matérielle, mais aussi de leurs convictions idéologiques ou morales. Par exemple, le débat actuel sur la cause animale peut conduire à s’interroger sur le bien-fondé d’une vie de chien en appartement, mais peut aussi pousser à adopter un chat errant. En conséquence, l’habitat, le milieu social, la composition du ménage et l’âge sont considérés dans notre analyse comme des contraintes autant que comme les indicateurs de goût caractérisant aussi bien les possesseurs que les non-possesseurs d’animaux de compagnie. Les deux enquêtes ont été réalisées à plus de vingt ans d’intervalle. Elles font apparaître que la France reste également partagée entre possesseurs et non-possesseurs (tableau 1). Mais cette stabilité du taux de possession n’implique pas que la relation entre l’animal de compagnie et son maître soit restée identique. Sans vouloir attribuer l’évolution observée à celle des seules préférences, il est désormais attendu de l’animal familier moins de services domestiques et plus de compagnie dans les loisirs.

Domaines

Sociologie
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-03399809 , version 1 (24-10-2021)

Identifiants

Citer

Nicolas Herpin, Daniel Verger. La possession d’animaux de compagnie en France : une évolution sur plus de vingt ans expliquée par la sociologie de la consommation. L'Année Sociologique, 2016, 66 (2), pp.421 - 466. ⟨10.3917/anso.162.0421⟩. ⟨hal-03399809⟩
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