Au marché des conversations anonymes : parler de soi en exil
Abstract
Si la ville est un « monde d’étrangers », l’incertitude que porte le mouvement de la multitude couve également des occasions de découvertes et de rencontres impromptues. Colette Pétonnet a montré que l’anonymat pouvait fonctionner comme une pellicule protectrice non seulement parce qu’il permet d’échapper aux obligations de rôles et de statut et autorise l’indifférence, mais également parce qu’il permet de se dire, de se confier à des individus qui ne sont personne, que l’on ne reverra certainement jamais plus et dont le jugement est sans conséquences. Si l’anonymat est perte ou dissimulation du nom, il n’est pas pour autant synonyme de dissolution du sujet. Lors de deux enquêtes ethnographiques menées dans les cafés du quartier des Quatre-Chemins entre Aubervilliers et Pantin et sur les marchés informels d’objets de récupération Porte Montmartre, nous nous sommes intéressés à la sociabilité publique qui anime ces univers de précarité et de déracinement. Sur ces deux terrains il apparaît que l’anonymat permet des jeux conversationnels et des récits de vie qui jouent un rôle déterminant en termes de construction du soi. C’est ce que nous proposons de démontrer à partir d’une description des conversations de café et de marché auxquelles nous avons participé.