Faut s’adapter aux cultures, Maître !
Abstract
Cet article s’appuie sur une enquête collective de longue durée dans plusieurs juridictions en France métropolitaine. Elle a débuté entre 2009 et 2011 par une enquête de terrain dans quatre tgi, associant l’observation de 330 affaires en audience, des entretiens avec des jaf et d’autres professionnel‑le‑s du droit de la famille (greffières et enquêtrices sociales principalement), ainsi que l’analyse, qualitative et quantitative, de 500 dossiers judiciaires [Collectif Onze, 2013]. Depuis 2013, elle se poursuit, selon la même méthode, dans deux cours d’appel et dans plusieurs cabinets d’avocat‑e‑s et études notariales. Alors que d’autres secteurs de la justice en France métropolitaine sont fortement polarisés, selon la classe sociale , le sexe , ou l’appartenance aux minorités ethno‑raciales , les hommes et les femmes qui se trouvent un jour confronté‑e‑s à la justice familiale appartiennent à tous les milieux sociaux et ont connu des trajectoires migratoires variées : de nationalité française ou étrangère, né‑e‑s en métropole, outre‑mer ou dans un autre pays, ils et elles maîtrisent diversement la langue française, portent ou non un patronyme ou un prénom à consonance étrangère et présentent des traits physiques ou des styles vestimentaires qui renvoient à des appartenances ethniques – réelles ou supposées – extrêmement variées. À titre indicatif, dans les quatre tgi où a eu lieu cette recherche, 67 % des affaires impliquent deux ex‑conjoint‑e‑s né‑e‑s en France, mais cette proportion va de 85 % pour la juridiction la plus rurale (Marjac) à 56 % pour la plus urbanisée (le tribunal de Valin, situé dans une grande métropole régionale). Entre ces deux juridictions, la proportion de cas où les deux conjoints sont nés à l’étranger varie de 1 % à 18 %. Ces comptages sous‑estiment fortement la présence de justiciables des minorités ethno‑raciales qui, pour une partie d’entre elles, sont né‑e‑s en France (métropolitaine ou dom‑tom). Par contraste, les professionnel‑le‑s de la justice familiale, notamment les magistrat‑e‑s et les avocat‑e‑s, ont, à quelques exceptions près, des profils beaucoup plus uniformes du point de vue de la nationalité (française) comme de l’origine apparente (européenne).