Des appels d’offres pour la recherche : genèse et transformations d’un dispositif de gouvernement - Sciences Po Accéder directement au contenu
Chapitre D'ouvrage Année : 2016

Des appels d’offres pour la recherche : genèse et transformations d’un dispositif de gouvernement

Résumé

Tout en proposant des clefs de lecture distinctes des mondes scientifiques et de leur dynamique, les travaux de sociologie des sciences et de science studies ont souvent décrit la concurrence comme un principe d’organisation central de la communauté académique. R. K. Merton (1973) analyse ainsi comment les scientifiques sont en compétition pour obtenir la reconnaissance de leurs pairs, objectivée dans des découvertes, des prix et des publications. Principe central du monde scientifique, la concurrence est aussi régulée, chez Merton, par l’adhésion à des normes morales qui permettent d’éviter ses effets pervers, la fraude et le plagiat notamment. Tout en critiquant l’accent mis par Merton sur les valeurs et en y voyant plutôt l’expression d’intérêts situés, P. Bourdieu (1976) décrit le fonctionnement du champ académique au prisme des luttes qui opposent chercheurs et enseignants chercheurs pour l’acquisition du capital scientifique. Cette concurrence pour l’obtention de la reconnaissance et de l’estime des pairs, couplée à la valorisation de l’originalité, constitue alors l’un des ressorts de la production des connaissances en entraînant les scientifiques dans une dynamique de perpétuel renversement de l’ordre établi. Quoique dans une perspective distincte, les travaux de science studies font aussi de la concurrence un élément central de la résolution des controverses : dans celle qui oppose Hobbes à Boyle (Shapin, Schaffer, 1999) ou dans les débats entre Pasteur et Pouchet (Latour, 1989), des scientifiques, des expériences mais aussi des représentations politiques du monde sont en compétition. Ces travaux, aujourd’hui classiques, se sont, pour l’essentiel, concentrés sur les concurrences qui s’expriment au moment de la production des connaissances, de leur valorisation dans des publications ou de la revendication de la paternité d’une « découverte » scientifique. D’autres aspects de la concurrence ont été moins documentés, comme celles qui s’expriment dans l’allocation des fonds aux projets de recherche. La concurrence n’est alors plus uniquement le produit des logiques intrinsèques du fonctionnement du monde scientifique. Elle est aussi organisée et instrumentée par les pouvoirs publics pour peser sur les pratiques scientifiques, soutenir un domaine particulier ou promouvoir des coopérations inédites. La procédure des appels à projets compétitifs est un bon exemple de dispositifs organisant cette mise en concurrence : en spécifiant des critères de sélection et d’éligibilité des projets, en instituant les échéances et les épreuves qui rythment la procédure de sélection, en formalisant les règles de composition des panels de scientifiques chargés de la sélection, les appels à projets et les textes qui les réglementent organisent le processus de mise en compétition des chercheurs, des laboratoires ou des établissements. De nombreux travaux ont mis l’accent sur l’emprise croissante de ces dispositifs de financement et sur leurs effets. On connait aujourd’hui leurs conséquences sur le travail académique (Barrier, 2011 ; Schultz, 2013 ; Hubert et Louvel, 2012), sur la structuration professionnelle (Jouvenet, 2011 ; Louvel, 2011) ou sur la prise de risque scientifique (Lemaine, 1980). Le fonctionnement des comités qui sélectionnent les projets commence également à être connu. M. Lamont montre comment les cultures disciplinaires pèsent sur la définition de ce qu’est un bon projet de recherche (Lamont, 2009). Cole et ses collègues (1977) analysent la probité des évaluateurs et les éventuels biais qui peuvent affecter le processus de sélection des projets. Des études analysant les conditions de création et de fonctionnement des agences chargées de la gestion des fonds sur projets ont été également conduites (sur le cas états-unien Kleinman, 1995 ; Appel, 2000). On connait cependant moins la manière dont la mise en concurrence des projets s’installe dans le cadre de relations entre les pouvoirs publics et des membres de la communauté scientifique et la façon dont elle est outillée par la création d’instruments d’action publique. [premiers paragraphes]

Domaines

Sociologie
Fichier non déposé

Dates et versions

hal-01520797 , version 1 (11-05-2017)

Identifiants

Citer

Jérôme Aust. Des appels d’offres pour la recherche : genèse et transformations d’un dispositif de gouvernement : Chapitre 4. Patrick Castel; Leonie Henaut; Emmanuelle Marchal. Faire la concurrence, Presses des Mines, pp.79 - 98, 2016, 9782356713889. ⟨hal-01520797⟩
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