. Ong and . Pari-difficile-et-de-longue-haleine, C'est pourquoi nous voudrions, à tout le moins, constituer un outil de référence sur les massacres et génocides, sous la forme d'un site internet (bilingue anglais/français), destiné à tous ceux qui travaillent sur la violence, la guerre et la paix Un tel site, hébergé au CERI, sera utile non seulement aux universitaires et aux étudiants mais également aux journalistes, aux experts internationaux, aux juristes qui demande des fonds importants et diverses coopérations internationales. Mais il vaut la peine d'être tenté ! T. H. -Comment expliquer le fait qu'il n'y ait pas, au jour d'aujourd'hui, de consensus sur la définition du génocide ? J. S. -Il est vrai que ce terme ne fait pas l'unanimité. Certains chercheurs anglo-saxons assimilent le génocide à un grand massacre. L'un d'entre eux considère même l'accident nucléaire de Tchernobyl comme un génocide ! D'un point de vue juridique, la Convention adoptée par l'ONU en 1948 est destinée à " la prévention et la répression du crime de génocide ", qu'elle définit comme la " destruction intentionnelle de tout ou partie d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ". D'un point de vue purement sociologique, les définitions que donne la Convention ne me semblent pas satisfaisantes. L'adoption de cette Convention, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, est assurément un progrès du droit international, même si les États se sont bien gardés de l'appliquer. Cependant, son utilisation suscite de nombreuses difficultés en sciences sociales. En effet, dans quelle mesure une norme internationale -qui résulte donc d'un accord politique entre les États -adoptée à la fin des années 1940 (les Soviétiques ayant tout fait pour en exclure la destruction de groupes politiques) peut-elle servir de fondement aux recherches sur le génocide en histoire, en sociologie, en anthropologie, etc. ? Le grand risque est alors que le chercheur se transforme en juriste, sinon en procureur, des crimes du passé. À mon avis, ce n'est pas là son rôle, même s'il paraît souhaitable qu'il dialogue avec le juge. C'est pourquoi je propose, à l'inverse, que les recherches sur le génocide se dégagent du droit et élaborent leurs propres outils de réflexion, en dehors de toute catégorie normative. Par exemple, la notion de " massacre " me semble intéressante à travailler en sciences sociales, précisément parce qu'elle n'est pas normative Deuxième point : cette action vise à détruire des non-combattants, fréquente d'universitaires, juristes, professeurs, etc. dans les plus grands massacres du XXe siècle impose aux chercheurs en sciences sociales de prendre leurs responsabilités et d'investir plus que jamais ce champ de recherche. Non seulement pour la connaissance, 1940.

L. Arendt-À-propos-de-la-shoah-terre,-mais-de and . Terre, Cette expression vaut aussi pour le Rwanda Depuis la création de cet État, en 1959 -qui a coïncidé avec celle du Burundi voisin -, les massacres ont fait partie intégrante de son histoire et ont lourdement pesé sur sa construction politique Au début des années 1960, au Rwanda, l'État se construit sur la base d'une revanche contre les Tutsis, qui avaient dominé le pays sous le colonialisme belge. Dès ces premières années d'indépendance, des Tutsis sont tués, ce qui provoque le départ de nombre d'entre eux. Lors de chaque crise, ce même mécanisme est à l'oeuvre. Mais, en 1994, ce processus change de nature. À la radio, dans le discours de certains dirigeants et d'intellectuels, on note des propos du type : " Cette fois-ci, ils ne nous échapperont pas Par ailleurs, l'histoire des massacres au Rwanda ne s'est pas arrêtée le 4 juillet 1994, quand Kagamé a pris le pouvoir à Kigali. Car, comme vous le savez, le FPR a exercé, il a tenté de détruire les camps de réfugiés du Congo-Kinshasa, perçus comme une véritable menace pour le nouveau régime. Le FPR était bien placé pour le savoir : il avait été fondé par des Tutsis exilés qui étaient parvenus

T. H. Le-génocide-rwandais, ?. J. Le-cataclysme-qui-se-rapproche-le-plus-de-la-shoah, . Oui, and . Dans-une-certaine-mesure, Mais l'Holocauste est allé encore plus loin dans ce processus d'éradication totale que j'ai évoqué tout à l'heure. Car, à ma connaissance, les nazis ont été les seuls à engager un génocide à l'échelle d'un continent -un événement unique qui ne peut se comprendre que dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale. Berlin est même allé jusqu'à demander à son allié japonais de lui livrer les Juifs allemands réfugiés sur l'archipel ! Et les nazis songeaient aussi à s'en prendre

T. H. Slobodan, Selon vous, ce chef d'inculpation est-il justifié ? J. S. -Deux interprétations sont possibles. D'après certains auteurs anglo-saxons, un génocide a bien été commis en Bosnie. C'est ce que pense, par exemple Mais il ne faut pas perdre de vue le contexte dans lequel il écrivait : quand son ouvrage paraît aux États-Unis, nous sommes en 1993 Gutman souhaite voir les grandes puissances intervenir en Bosnie. Il utilise alors le terme " génocide " de façon militante ou, disons, citoyenne : il s'agit de mobiliser l'opinion internationale et de pousser les États à agir pour arrêter les massacres. N'oubliez pas que la Convention de l'ONU stipule qu'il est de la responsabilité de la communauté internationale de protéger une population quand elle est victime d'un génocide. Personnellement, je serais plus réservé sur l'usage de ce terme pour définir les événements de Bosnie : on était plutôt en présence d'une logique d'épuration ethnique. Car les Serbes et les Croates n'ont jamais eu la volonté de détruire " totalement " les Musulmans bosniaques. Il n'empêche que ce qui s'y est passé est extrêmement grave. On a massacré, violé, brûlé des maisons, détruit des mosquées, ouvert des camps d'internement... Je ne suis pas juriste ; par conséquent, Milosevic est actuellement jugé devant le Tribunal pénal international de La Haye (TPIY). Il est notamment accusé de crime de génocide ceux déjà rendus et ceux qui le seront, sont tout à fait essentiels pour caractériser les événements de Bosnie

T. H. Est-vrai-qu-'à-srebrenica, Ratko Mladic ordonne le massacre de tous les hommes en âge de combattre mais fait transférer les femmes, 1995.

T. H. -au-rwanda and J. S. Le-discours-est, Au Rwanda, le discours anti-Tutsi a toujours été présent, avec plus ou moins d'intensité. Après l'offensive du FPR, en 1990, il reprend de la vigueur et se traduit par des appels à la haine sur Radio Mille Collines (créée en 1993 par des extrémistes hutus avec la bienveillance du pouvoir) L'étude des discours publics est souvent un bon observatoire des risques qui se précisent contre telle ou telle communauté. À cet égard, vous observerez que le massacre procède d'abord d'un processus mental, d'une manière de définir l'autre par des mots qui le déparent de son humanité. L'étude de ce langage constitue donc le premier indicateur d'une possibilité -non d'une certitude -de massacre. La propagande joue, en quelque sorte, un rôle de matrice sémantique. Elle construit la figure de l'Ennemi, tout en construisant parallèlement la figure du Soi, c'est-à-dire du groupe qui entend se défendre : c'est " Nous contre Eux ". On observe la même rhétorique binaire dans la guerre : celle de l'ami et de l'ennemi Qu'est-ce qui nous prouve que ces femmes et ces enfants n'ont pas fourni de nourriture à nos ennemis ?, Bref, on tue par avance avec les mots. La nouveauté, au Rwanda, c'est l'utilisation massive de la radio. Dans ce domaine, le génocide de 1994 a revêtu un aspect très moderne

J. S. -c-'est-effectivement-un-facteur-important, L'évolution de chaque État est fondamentale Je distingue deux cas de figure. A priori, on pourrait penser que l'État qui assassine sa propre population ou une population voisine

T. H. Qu, joue un rôle crucial d'" encadrement mental " des individus Mais le passage à l'acte suppose bien d'autres facteurs Il y a, par exemple, la notion de " groupe " : on tue en équipe, en bande, en commando. La dynamique du groupe repose sur le principe de conformité : on ne peut pas abandonner les copains engagés dans le " sale boulot ". Plusieurs types de groupes existent : les groupes hiérarchisés (les militaires) ; les groupes plus ou moins organisés (les paramilitaires) ; et les groupes sporadiques (les civils, Ainsi, au Rwanda, on a vu aussi bien l'armée que les gendarmes et les miliciens Interahamwe participer activement aux massacres. Différents acteurs sont donc impliqués dans le génocide. Les groupes militaires et paramilitaires sont préparés -physiquement et psychologiquement -à la violence. Ce n'est pas forcément le cas des civils. Mais il ne faudrait pas croire pour autant qu'ils ne peuvent pas jouer un rôle important dans un génocide

T. H. Selon-vous, La tension est alors énorme Un climat de peur règne dans tout le pays. Le FPR -qui a, lui aussi, commis des atrocités après les combats de 1990 -semble sur le point de s'emparer du pouvoir. Des colonnes de réfugiés descendent du nord vers le sud du pays, fuyant l'arrivée du FPR. Et que racontent-ils ? Que les rebelles tuent les civils. Que ce soit vrai ou faux, ce discours terrorise les gens. La rumeur est génératrice de violences. Mon collègue africaniste André Guichaoua a même observé une corrélation entre le flux des réfugiés et le développement des massacres... Ce climat de peur a conduit un certain nombre de gens à se dire : " Il faut aller au combat. Nous devons nous défendre Mais, encore une fois, n'en tirons pas la conclusion que les masses paysannes hutues auraient spontanément participé aux massacres, La population a surtout été en permanence incitée à participer aux tueries par ceux qui les ont décidées. Il y aurait beaucoup à dire sur le rôle de ces " encadreurs " (bourgmestres, responsables de partis politiques...) qui désignent à la population ceux qui doivent être tués. Le Rwanda est un État très centralisé : ses dirigeants peuvent facilement faire passer leurs instructions au niveau local, 1920.

T. H. Après-un-génocide, Quand des événements de cette ampleur se sont produits, il est absurde, voire indécent, de prononcer le terme même de réconciliation Le traumatisme collectif est énorme Le génocide provoque des ruptures, des replis identitaires qui peuvent, à leur tour, générer un impérieux désir de vengeance. Il engendre également des " mémoires concurrentes " : le bourreau et la victime n'auront pas la même vision de ce qui s'est passé Au Rwanda, on est dans l'incapacité de juger tous ceux qui ont participé au massacre (22) Il faudrait des années et des années pour y parvenir ! Par conséquent, les victimes, les rescapés et les anciens tueurs peuvent se retrouver les uns auprès des autres. Leur réconciliation est utopique. En revanche, ce qui est en jeu, c'est la possibilité de leur cohabitation. Comment recréer des micro-liens sociaux ? Un tel processus passe d'abord par la verbalisation de ce qui a été vécu. C'est ce à quoi tente aujourd'hui de parvenir, dans les collines, le psychiatre Naasson Munyandamutsa. Par ailleurs, après un tel événement, on a tendance à idéaliser les victimes et à considérer que leurs souffrances incommensurables exempteraient, à l'avenir, leur communauté de toute critique, Mais l'Histoire continue. Au Rwanda ou ailleurs, les héritiers politiques des victimes peuvent se transformer en agresseurs et mettre en place un système irrespectueux des droits de l'homme. L'interdiction de toute référence à l'ethnisme au Rwanda (23) permet aussi d'empêcher la libre expression dans ce pays, comme l'ont noté de récents rapports d'Amnesty International ou de l'International Crisis Group

L. Minuar, ou Mission des Nations unies d'assistance pour le Rwanda, a été mise en place au lendemain des accords d'Arusha (août 1993) Forte de 2 500 hommes, dotée d'un mandat correspondant au chapitre VI des Nations unies (pas de recours à la force) et commandée par le général canadien Roméo Dallaire

. En-juin, Union européenne a déployé une force internationale en Ituri, une région riche en minerais, située au nord-est de la République démocratique du Congo et en proie à des affrontements interethniques sanglants depuis 1999. Cette opération, baptisée Artémis, 2003.

S. De, . Power, . Problem, A. Hell, T. Age et al., La Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en 1948 par les Nations unies, oblige les États qui l'ont ratifiée à intervenir pour protéger une population victime d'extermination. Si le génocide n'est pas avéré, la communauté internationale n'a donc pas le droit d'agir. (10) En octobre 1993, dix-huit soldats américains qui tentaient de capturer le chef de guerre somalien Aïdid étaient tués par ses miliciens. À la suite de cet événement, Washington décidait de retirer l'ensemble des troupes qui avaient été déployées en Somalie, l'année précédente, dans le cadre de l'opération " Restore Hope ". (11) En 1994, une intervention américaine a permis au président Jean-Bertrand Aristide de revenir au pouvoir, dont il avait été chassé par un coup d'État militaire en 1991. (12) Chercheuse au sein de l'organisation Human Rights Watch, Alison Des Forges a publié Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 13) Signés en Tanzanie sous la pression de la communauté internationale en août 1993, ces accords prévoyaient un partage du pouvoir entre la majorité hutue et la minorité tutsie. (14) Ancien responsable des Études africaines à l'Université de Los Angeles (UCLA), Léo Kuper a publié en 1981 un livre pionnier : Genocide. Its Political Use in the Twentieth Century, 1981.

L. Pape, Des journalistes au Rwanda. L'histoire immédiate d'un génocide, Les Temps modernes, pp.juillet-août, 1995.

. Voir-stathis-kalyvas-guerres-civiles-À-la-fin-de-la-guerre-froide, Guerres et sociétés État et violence après la Guerre froide Chercheur américain, inventeur de la notion de " démocide Rudolf Rummel a tenté une évaluation quantitative (très contestée) des meurtres de masse au XXe siècle. Il est l'auteur de : Death by Government, New Brunswick, Transaction Publishers) Le soir du 6 avril 1994, alors qu'il s'apprête à atterrir sur l'aéroport de Kigali, le Falcon 50 qui transportait le président rwandais Juvénal Habyarimana et son homologue burundais est abattu par deux missiles sol-air. Selon un rapport établi par le juge français Jean-Louis Bruguière, c'est le FPR de Paul Kagamé qui serait à l'origine du tir fatal, 21) Jean Hatzfeld, Une saison de machettes22) Voir l'entretien avec Paul Kagamé par Colette Braeckman dans ce même numéro. Il y est, en particulier, fait mention de la manière choisie par le Rwanda afin de juger les auteurs du génocide : la justice gaçaça, une forme de justice participative exercée par les citoyens eux-mêmes, 1994.